NOEL en Provence
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NOEL en Provence
Copie: D'un repas de Noël
Cette année-là, il faisait un vrai temps de Noël: il avait un peu neigé deux jours avant et le mistral bouffait à débanner tous les cocus du village.
La famille se réunissait traditionnellement pour la veillée calendale à la ferme familiale, un merveilleux mas au sommet du village, à l'ombre tutélaire du puissant Fort Saint-André. Il faut dire qu'à l'époque, Villeneuve était encore un village paysan et non pas ce qu'elle est devenue: une ville-dortoir pour parvenus voulant péter plus haut que leur cul.
Pour monter à la ferme, depuis la pâtisserie des parents, il fallait traverser la grande place et lutter contre les tourbillons d'un vent glacial soulevant des nuages de poudreuse qui s'infiltrait partout, malgré les manteaux, les châles et les fichus. Après le grand portail de fer, une sente empierrée menait à la grande cour de la ferme.
Dans la journée, les oncles avaient dégagé la voie avec pelle et râteau, instruments qu'ils avaient ensuite abandonnés sur la neige à côté de la porte, prêts à resservir si nécessaire.
Dans la grande salle à manger de la ferme, les femmes ont disposé, sur les trois nappes blanches, les services de fêtes, les verres du dimanche. Dans l'âtre qui flamboie, l'aïeule et le "caga-nis" — chez nous, on nomme ainsi le plus jeune des enfants — apportent une bûche d'arbre fruitier bien sec.
D'un verre de vin cuit versé avec respect, la grand-mère que tous appellent Marraine — en l'absence de son mari, tombé sous les balles de la grande guerre — bénit la bûche puis, d'un ton solennel prononce à belle voix la formule rituelle des Provençaux:
"Alègre! Alègre!
Mi bèus enfant, Dièu nous alègre!
Emé Calèndo tout bèn vèn…
Dièu nous fague la gràci de vèire l'an que vèn,
E se noun sian pas mai, que noun fuguen pas mens!"
La famille s'installe alors à table, réservant une place, pas très loin de la porte, pour le pauvre transi que le sort accable. Cette nuit, s'il vient, il aura l'amour, le couvert et le gîte.
Et les femmes, dès lors, servent le Gros Souper: les petits escargots à la "suçarelle" que l'on aspire d'un coup, les cardons à l'anchois, la raïto de merlusso, le muge aux olives, le gratin de brandade, et, pour laver la bouche l'àpi à la pebrado.
On arrose ces mets aux grands vins de la Coste-du-Rhône.
Enfin voici venu le moment où l'on sert, avec cérémonie, tous les treize desserts: les amandes, les noix et les noisettes, les figues sèches, les dattes, les mandarines, les oranges, les pommes, les poires, les raisins que l'on garde depuis septembre suspendus par leur branche dans le grenier, voici le nougat blanc, voici enfin le nougat noir… Marraine apporte enfin la pompe à l'huile, symbole de l'espoir!
On mange, on boit, on chante, l'oncle Gus sort le piston d'où s'échappent bientôt quelques canards, on est tout à sa joie. Puis l'oncle arrête d'un coup sa musique et dit: "Oh! Les petits, je crois que j'entends les pas du père Noël! Chuuuttt!" Tout le monde se tait. Nous, les petits, on bade, emportés par le délicieux frisson du rêve…
Il faut dire que les adultes avaient préparé le coup avec le Grand Gaby, un intime de la famille - dont la trogne barbue enluminée au Côte du Rhône était orné d'un tarbouif alliant la texture de la morille à la couleur de l'aubergine. Il s'était vêtu d'une grande robe rouge et portait dans chaque main un panier d'osier plein de petits cadeaux, de papillotes, de chocolats, de mandarines.
On entend donc marcher dans la cour, puis une grosse voix s'élève, atténuée par le vent: "Ouvrez-moi, les petits, c'est le père Noël!"
Les parents nous poussent amicalement vers la porte où nous restons groupés, l'oreille aux aguets, tendus par le mystère.
Dehors le père Noël avance, met le pied sur le râteau qui - vous savez qu'il n'y a rien de plus sournois qu'un râteau - lui fout un grand coup de manche dans la gueule!
Et alors on entend un fracas anormal et une voix qui gueule: "Aquéou coun de rasteoù !"
On ouvre…et on trouve le père Noël le cul dans la neige au milieu de ses paquets.
«C'est Gaby! C'est Gaby!» qu'on crie en frappant des mains!
C'est comme ça que j'ai perdu mes illusions d'enfant crédule.
Nouvelle postée par Jean-Victor Joubert sur son blog ami :l'antifadas
Cette année-là, il faisait un vrai temps de Noël: il avait un peu neigé deux jours avant et le mistral bouffait à débanner tous les cocus du village.
La famille se réunissait traditionnellement pour la veillée calendale à la ferme familiale, un merveilleux mas au sommet du village, à l'ombre tutélaire du puissant Fort Saint-André. Il faut dire qu'à l'époque, Villeneuve était encore un village paysan et non pas ce qu'elle est devenue: une ville-dortoir pour parvenus voulant péter plus haut que leur cul.
Pour monter à la ferme, depuis la pâtisserie des parents, il fallait traverser la grande place et lutter contre les tourbillons d'un vent glacial soulevant des nuages de poudreuse qui s'infiltrait partout, malgré les manteaux, les châles et les fichus. Après le grand portail de fer, une sente empierrée menait à la grande cour de la ferme.
Dans la journée, les oncles avaient dégagé la voie avec pelle et râteau, instruments qu'ils avaient ensuite abandonnés sur la neige à côté de la porte, prêts à resservir si nécessaire.
Dans la grande salle à manger de la ferme, les femmes ont disposé, sur les trois nappes blanches, les services de fêtes, les verres du dimanche. Dans l'âtre qui flamboie, l'aïeule et le "caga-nis" — chez nous, on nomme ainsi le plus jeune des enfants — apportent une bûche d'arbre fruitier bien sec.
D'un verre de vin cuit versé avec respect, la grand-mère que tous appellent Marraine — en l'absence de son mari, tombé sous les balles de la grande guerre — bénit la bûche puis, d'un ton solennel prononce à belle voix la formule rituelle des Provençaux:
"Alègre! Alègre!
Mi bèus enfant, Dièu nous alègre!
Emé Calèndo tout bèn vèn…
Dièu nous fague la gràci de vèire l'an que vèn,
E se noun sian pas mai, que noun fuguen pas mens!"
La famille s'installe alors à table, réservant une place, pas très loin de la porte, pour le pauvre transi que le sort accable. Cette nuit, s'il vient, il aura l'amour, le couvert et le gîte.
Et les femmes, dès lors, servent le Gros Souper: les petits escargots à la "suçarelle" que l'on aspire d'un coup, les cardons à l'anchois, la raïto de merlusso, le muge aux olives, le gratin de brandade, et, pour laver la bouche l'àpi à la pebrado.
On arrose ces mets aux grands vins de la Coste-du-Rhône.
Enfin voici venu le moment où l'on sert, avec cérémonie, tous les treize desserts: les amandes, les noix et les noisettes, les figues sèches, les dattes, les mandarines, les oranges, les pommes, les poires, les raisins que l'on garde depuis septembre suspendus par leur branche dans le grenier, voici le nougat blanc, voici enfin le nougat noir… Marraine apporte enfin la pompe à l'huile, symbole de l'espoir!
On mange, on boit, on chante, l'oncle Gus sort le piston d'où s'échappent bientôt quelques canards, on est tout à sa joie. Puis l'oncle arrête d'un coup sa musique et dit: "Oh! Les petits, je crois que j'entends les pas du père Noël! Chuuuttt!" Tout le monde se tait. Nous, les petits, on bade, emportés par le délicieux frisson du rêve…
Il faut dire que les adultes avaient préparé le coup avec le Grand Gaby, un intime de la famille - dont la trogne barbue enluminée au Côte du Rhône était orné d'un tarbouif alliant la texture de la morille à la couleur de l'aubergine. Il s'était vêtu d'une grande robe rouge et portait dans chaque main un panier d'osier plein de petits cadeaux, de papillotes, de chocolats, de mandarines.
On entend donc marcher dans la cour, puis une grosse voix s'élève, atténuée par le vent: "Ouvrez-moi, les petits, c'est le père Noël!"
Les parents nous poussent amicalement vers la porte où nous restons groupés, l'oreille aux aguets, tendus par le mystère.
Dehors le père Noël avance, met le pied sur le râteau qui - vous savez qu'il n'y a rien de plus sournois qu'un râteau - lui fout un grand coup de manche dans la gueule!
Et alors on entend un fracas anormal et une voix qui gueule: "Aquéou coun de rasteoù !"
On ouvre…et on trouve le père Noël le cul dans la neige au milieu de ses paquets.
«C'est Gaby! C'est Gaby!» qu'on crie en frappant des mains!
C'est comme ça que j'ai perdu mes illusions d'enfant crédule.
Nouvelle postée par Jean-Victor Joubert sur son blog ami :l'antifadas
miksou- Messages : 2
Date d'inscription : 13/01/2011
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